Maître Deshimaru, extrait d’une conférence à Zinal
Pour certains, zazen est une méditation, une attitude de pensée. Mais zazen n’est ni un « isme », ni une pensée, ni une méditation, au sens qui lui est donné dans le christianisme ou l’hindouisme par exemple. En Europe, Pascal définit l’homme tel un roseau pensant, exprimant ainsi la conception européenne qui fait de l’acte de penser la base du comportement humain. La pensée emplit toute notre vie, personne ne conçoit l’anti-pensée.
Professeurs, philosophes en particulier s’adonnent à la pensée, aucun ne songe à critiquer la pensée en soi. Zazen n’est ni une pensée, ni une anti-pensée, il est au-delà de la pensée, pensée pure, sans self-conscience, en harmonie avec la conscience de l’univers. Dogen cite cette histoire de Maître Yakusan : «Un jour, tandis qu’il était en zazen, un jeune moine lui demanda : «Que pensez-vous durant zazen ?» Il répondit : «Je pense sans penser, hishiryo.» Hishiryo : dimension de pensée sans conscience. Telle est l’essence du Zen, de zazen.
Zazen est la condition normale du corps et de l’esprit, tranquillité, stabilité, équilibre, harmonie. Avant zazen, on se balance légèrement de droite à gauche pour trouver l’équilibre immobile.
Cette expérience de zazen permet de trouver le véritable élan vital qui est en nous. Ce n’est ni une tension ni un relâchement mais la vraie liberté et l’harmonie. Les maîtres zen disent toujours qu’on ne peut exprimer cela par le langage car ce serait tromper les gens en leur offrant une pomme peinte sur un tableau. L’enseignement du Zen, comme je le répète souvent, se fait «de mon âme à ton âme».
La pratique de zazen crée en chaque individu une révolution intérieure apportant la conscience juste, la respiration juste, le sommeil juste, la sexualité juste, qui sont les bases d’une authentique civilisation. Zazen signifie se fixer au centre de l’ordre de l’univers, du cosmos. Par la pratique de zazen, ici et maintenant, à travers notre être tout entier, nous existons au centre du système cosmique. C’est la plus haute dimension que nous puissions atteindre.
Cette vérité ne peut être atteinte à travers une conception purement matérialiste ou purement spiritualiste. Une troisième conception de l’univers serait la fusion de ces deux visions, pas un mélange, pas un juste milieu, mais une profonde harmonie car esprit et matière ne sont pas séparés, ils sont comme dans l’être humain interdépendants.
En Europe, les philosophes ont essayé de réaliser cette fusion de l’esprit et de la matière, mais à un niveau peu profond, uniquement intellectuel. Si cette conception atteint le niveau spirituel et devient objet de foi elle peut acquérir un pouvoir profond et une force qui signifieraient l’harmonie de la connaissance et des sens, de l’esprit et de la matière, de l’objet et du sujet, de la substance et de l’essence, de l’essence, de l’unique et du multiple, du mortel et de l’immortel, au delà des catégories relatives et des contradictions. Cette troisième vision de l’univers, je l’appelle Zen, ce mot gène certaines personnes, mais ce n’est qu’un nom d’utilité pratique.
Zinal (Suisse) — 1972